Ligue des champions : Memphis Depay (OL), l'enfance d'un chef
Nous nous sommes rendus à Moordrecht, à quelques kilomètres de Rotterdam, sur les traces du Néerlandais, là où tout a commencé et là ou tout aurait pu finir pour lui. Mais ni le départ de son père ni la dureté du compagnon de sa mère n'ont jamais empêché le capitaine lyonnais de croire en son étoile.

Le jeune Memphis Depay pose en compagnie d'un coéquipier avec le trophée de la Ligue des champions. ( DR)
Hervé Penot, à Moordrechtmis à jour le 10 décembre 2019 à 09h25
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La pluie ruisselle sur son visage d'enfant. Jessy, bonnet enfoncé sur le crâne, termine, en ce début de soirée de novembre, son entraînement devant un but déserté. Il récupère du matériel, quitte l'un des terrains de Moordrecht, petite ville néerlandaise coquette tout droit sortie des toiles d'un maître flamand. C'est ici que Memphis Depay, 25 ans, a signé sa première licence, à 6 ans, dans ce paisible bourg de 8 000 âmes planté à une dizaine de kilomètres de Rotterdam, où le centre dévoile des ruelles étroites, des devantures de brique rouge et un calme absolu.

À la droite des deux maisons mitoyennes, celle où Memphis Depay a grandi, à Moordrecht. (J. Lempin/L'Équipe)
Il y revient parfois, mais assez rarement, embrasser sa grand-mère ou son oncle, Eric, encore présents. Il a récemment ouvert un « Cruyff court », aire de jeu estampillée du nom de l'idole, un droit réservé seulement aux plus grands joueurs néerlandais. Et tourné un clip de rap, sa deuxième passion, dans les dédales de sa terre natale. Jessy connaît tout ça. Son regard s'éclaire à l'évocation du héros local, ce Depay à la dégaine de star, fringues dernier cri, tatouages comme une deuxième peau. Il a récupéré, un jour où le bruit du véhicule du Lyonnais annonçait son passage, une dédicace sur son tee-shirt, relique accrochée depuis sur un mur de sa chambre. « On rêve d'être comme lui alors, quand j'ai entendu sa voiture de loin... », s'enthousiasme-t-il.
«Il n'avait pas tous les codes. Quand il y avait neuf problèmes dans le vestiaire, huit fois, c'était lui»
Romeo Wouden, ancien pro, qui a entraîné Memphis Depay au Sparta Rotterdam
Dans le club-house, un maillot de Manchester dédicacé s'affiche en grand, au milieu de dizaines de photos, certaines bien défraîchies... On aperçoit aussi sa bouille de gamin sur un cliché minuscule dans un couloir. Mêmes yeux provocateurs, même moue frondeuse. Depay a-t-il vraiment changé ?
Comprendre Depay, c'est se plonger au coeur de cette jeunesse où le football a servi de bouée dans une période où tout aurait pu basculer, entre l'abandon d'un père, reparti au Ghana quand il avait 4 ans, et l'arrivée dans l'existence de sa mère, Cora Schensema, d'un homme au comportement brutal. Depay et son ballon, sorte d'ombre bienveillante qui lui ouvrira plus tard les portes de la gloire...
Karen, une voisine, se souvient de ces gouttières cassées, de ce Memphis toujours muni de son objet en cuir. Simon Zwartkruis, la trentaine à cette époque, entraîneur à Moordrecht, raconte : « Tous les soirs, l'été, on jouait sur la place devant nos maisons entre voisins. On mettait une poubelle au milieu et, à 6 ans, il ne la ratait quasiment jamais. Un talent pur. » Après trois saisons dans sa ville natale, le Sparta Rotterdam l'attire à 9 ans. Tout a failli s'arrêter là. Son coach décide de le virer, il a 10 ou 11 ans, dépassé par ses frasques mais Romeo Wouden, ancien pro devenu coach, demande à le récupérer dans la classe d'âge supérieure. Il se revoit, dur à cuire, dans ce petit bonhomme au caractère trempé. « Il n'avait pas tous les codes. Quand il y avait 9 problèmes dans le vestiaire, 8 fois, c'était lui. Pas des trucs graves mais balancer des chaussures, ne pas ramasser les affaires... Mais, en foot, il marquait 2 ou 3 buts par match. Il était extraordinaire. »

L'entrée du premier club de football de Memphis Depay, à Moordrecht. (J. Lempin/L'Équipe)
Wouden sourit. Dans le garage où il bosse aujourd'hui, il se rappelle ce conseil de discipline tendu, ces arguments balancés pour convaincre le Sparta de le conserver. Et sauver l'avenir de Depay. Jazzley, le fils de Romeo, même âge que le Lyonnais, son équipier alors au Sparta, assure : « Je suis 100 % certain que si Memphis avait été renvoyé il ne l'aurait pas accepté car ce n'est pas dans sa mentalité d'aller voir ailleurs. Il aurait pris ça comme un rejet. Et c'en aurait été fini. C'est un moment clé de sa vie. »
Au fil de son passage à Rotterdam (2003-2006), avant de rejoindre le PSV, à 12 ans, Depay tisse des liens étroits avec la famille Wouden. Il s'extrait de son contexte pesant. Jazzley le considère comme un frère, Romeo comme un fils. Depay squatte la maison. Ils partent même en vacances en Turquie « car c'était pas simple entre lui et sa mère à ce moment-là », se remémore Romeo, sans en rajouter. Son fils insiste : « Il lui manquait de l'affection. En Turquie, il était libre, heureux, sans tension. Mais ce n'était pas facile pour sa mère non plus car elle était entre lui et le beau-père et elle avait du mal à choisir son camp. Et Memphis ne le comprenait pas nécessairement à son âge... Sans père, ce n'est pas simple et quand la personne qui le remplace est brutale... »
«Vous savez, vous pouvez vous sentir seul avec l'argent et la célébrité parfois... Mais, maintenant, il est apaisé»
Eric, son oncle
Il ne dévoile pas tout, ni ces brimades nombreuses, ces coups, ni la volonté qu'a son pote de s'échapper. Depay se façonne son monde à lui, se forge un tempérament, se réfugie dans le foot. Loin, si possible, de sa maison où les nombreux enfants du compagnon de sa mère lui mènent aussi la vie dure. En match, il explose tout. Découpe à lui seul l'Ajax, récupère le titre de meilleur joueur d'un tournoi en Allemagne avec le Sparta. Jazzley : « Au Sparta, il y avait pourtant des gars jaloux. Certains disaient : "Il arrive en retard et joue. Et moi ?" Il était difficile. Quand vous le regardez aujourd'hui, vous comprenez ce que je veux dire par difficile. Il n'était pas arrogant, mais c'était de la motivation. Car c'est un gars vrai. Et Memphis assurait : "Je serai célèbre". »
Devant l'explosion du phénomène, les plus grands clubs du pays (PSV, Ajax, Feyenoord) le courtisent. Romeo Wouden reçoit un coup de fil de Cora. Elle débarque avec Eric, son frère, pour évoquer l'avenir du rejeton. L'entraîneur ne veut pas le voir à Amsterdam, trop dangereux. Il glisse : « Vu ce qui se passe chez vous, mettez-le au PSV dans une famille d'accueil... » Sa maman craint la séparation. « Oui, mais il sera mieux encadré... », répond Wouden qui apprend deux mois plus tard son départ vers le PSV... dans une famille d'accueil.

Romeo Wouden, qui a entraîné Depay au Sparta Rotterdam. (J. Lempin/L'Équipe)
Là encore, des coups d'éclats essaiment ses débuts, notamment à l'école, un lieu qu'il abhorre. Le club lui adjoint un préparateur mental, Joost Leenders. Un nouvel acte fondateur. Depay peut s'épancher sur ses douleurs, lui qui se ferme à double tour à l'évocation de son passé. « Il ne parlait jamais de son père, livre Jazzley. Sa mère lui disait d'ailleurs : "Un jour, tu voudras savoir". Memphis a toujours été têtu, mais il a compris aujourd'hui. Il est allé au Ghana saisir d'où il venait. Il a évolué par rapport à son père. Il sait qu'il doit fermer ce chapitre. À l'époque, c'était impossible. Le foot lui permettait, en fait, de ne pas penser au reste. »
Le décès de son grand-père, la figure tutélaire avec sa mère, lui donne un énième coup dont il devra se relever. Le plus violent peut-être. Il a 15 ans. « Ç'a été un désastre, souligne Eric, son oncle, tellement ils étaient proches. Il a été détruit. Car mon père s'occupait toujours de Memphis. Tout ce qu'il a vécu en fait l'a obligé à survivre, à se battre, à devenir ce qu'il est... » Dans un environnement incertain, avec des gens parfois plus âgés, certains, intéressés par son aura ou par son argent, flirtant avec la drogue. « Vous savez, vous pouvez vous sentir seul avec l'argent et la célébrité parfois... Mais, maintenant, il est apaisé », poursuit-il.

Jazzley, fils de Romeo Wouden, qui a joué avec le Lyonnais. (J. Lempin/L'Équipe)
Depay rêvait simplement de pousser les murs trop étroits de Moordrecht, de s'afficher en grand, de montrer au monde qu'il existait, lui le métis, ballotté au gré de sa jeunesse, le coeur fracturé par des années d'errance affective. C'était sa manière de prendre une revanche sur une existence tortueuse. Il n'allait pas lâcher. Jamais. Romeo Wouden : « Je suis fier de lui. En fait, il ne se sentait bien que quand il était le meilleur, au centre de tout. Si on le lui disait, il vous suivait, tête baissée. Il vivait jeune, déjà, comme une star. Memphis, c'était pas un mec que vous mettiez quelque part et vous vous disiez : "Il est où Memphis ?" Non, Memphis on le voyait... » Et à Lyon, de plus en plus.
Gigi Vitale, son meilleur ami, nous raconte un autre Memphis Depay.
Là où est Memphis Depay se trouve Gigi Vitale... C'est l'ami, le proche, le confident, présent très souvent à Lyon. Lui qui ne s'exprime jamais a accepté pour L'Équipe d'évoquer « son » Memphis Depay, une amitié ancienne née à Moordrecht quand ils étaient gamins.
« Quel genre de jeunesse a-t-il connu ?
Il a connu des moments très durs quand son père est parti (au Ghana). Ensuite, il est allé dans une famille avec sa maman et ce ne fut pas simple... Il y avait beaucoup d'enfants pas spécialement sympas avec lui. Il y a eu du racisme, ils se moquaient de lui, le brutalisaient aussi. Même si lui, ce n'est pas le genre à s'échapper (rire).
Le foot l'a sauvé ?
C'est certain. Il aurait pu mal tourner dans sa jeunesse. À Eindhoven, il a trouvé une autre famille d'accueil, ce qui a été bien, puis il s'est retrouvé seul à 16 ans. Ça fait beaucoup de responsabilités à cet âge. À Rotterdam, il connaissait des gens plus âgés, via le foot, via le rap car il a toujours eu la passion de la musique. Il est d'ailleurs talentueux et écrit paroles et musique. Je ne dis pas qu'il aurait mal fini mais, quand vous voulez être le meilleur joueur du monde, il y a certaines choses que vous ne devez pas faire... Il a eu des soucis au PSV avec des joueurs, des entraîneurs, mais ils ne pouvaient pas s'en séparer car il était trop bon.
Tout est lié à cette enfance difficile ?
Ça l'a rendu plus fort, plus dur. Personne ne peut le casser. Mais il était déjà différent, jeune. Il venait avec des chaussures de couleur. À15 ans, il se teignait les cheveux en blond. Ça ne se faisait pas à l'époque. Les gens devaient se dire : "Il fait quoi ? Il pense quoi ? Il est fou ? "Mais Memphis savait ce qu'il voulait être, il aimait les habits, les voitures mais n'avait pas les moyens. Rien ne peut en fait l'abattre. Même à United, quand ça n'allait pas, il est resté droit.
À Manchester, il a reçu pas mal de critiques, notamment d'anciens joueurs...
À Manchester, il n'est pas seul à avoir eu des problèmes. Pogba, Cristiano, Martial... En plus, il devait être accompagné, mais la personne n'est pas venue. C'est là-bas que j'ai commencé à vivre avec lui. On croit que les mecs ont de l'argent, sont reconnus, qu'ils sont heureux mais ils peuvent être touchés par une certaine solitude. Et il est allé à Lyon car il n'était plus heureux à Manchester. Je lui ai toujours dit : "Tu dois faire un pas en arrière pour en faire deux en avant. "Il est très content aujourd'hui. Et ce capitanat le touche car en lui, c'est un lion. Ça prouve qu'il a apporté au club.
Mais il a d'autres ambitions ?
À la fin, tu veux grandir toujours et gagner le Ballon d'Or. Il sait que c'est possible. La chose la plus importante et qu'on oublie, aussi, chez lui, c'est son grand coeur. Il donne énormément au Ghana dans une organisation pour les sourds et muets. Il faut le voir avec les enfants... Il avait besoin de faire la paix avec lui-même en allant sur la terre de ses ancêtres. Franchement, je ne pensais pas qu'il ferait tout ce qu'il fait aujourd'hui. Il a grandi. »
publié le 9 décembre 2019 à 21h24mis à jour le 10 décembre 2019 à 09h25
L'Equipe
Nous nous sommes rendus à Moordrecht, à quelques kilomètres de Rotterdam, sur les traces du Néerlandais, là où tout a commencé et là ou tout aurait pu finir pour lui. Mais ni le départ de son père ni la dureté du compagnon de sa mère n'ont jamais empêché le capitaine lyonnais de croire en son étoile.
Le jeune Memphis Depay pose en compagnie d'un coéquipier avec le trophée de la Ligue des champions. ( DR)
Hervé Penot, à Moordrechtmis à jour le 10 décembre 2019 à 09h25
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La pluie ruisselle sur son visage d'enfant. Jessy, bonnet enfoncé sur le crâne, termine, en ce début de soirée de novembre, son entraînement devant un but déserté. Il récupère du matériel, quitte l'un des terrains de Moordrecht, petite ville néerlandaise coquette tout droit sortie des toiles d'un maître flamand. C'est ici que Memphis Depay, 25 ans, a signé sa première licence, à 6 ans, dans ce paisible bourg de 8 000 âmes planté à une dizaine de kilomètres de Rotterdam, où le centre dévoile des ruelles étroites, des devantures de brique rouge et un calme absolu.

À la droite des deux maisons mitoyennes, celle où Memphis Depay a grandi, à Moordrecht. (J. Lempin/L'Équipe)
Il y revient parfois, mais assez rarement, embrasser sa grand-mère ou son oncle, Eric, encore présents. Il a récemment ouvert un « Cruyff court », aire de jeu estampillée du nom de l'idole, un droit réservé seulement aux plus grands joueurs néerlandais. Et tourné un clip de rap, sa deuxième passion, dans les dédales de sa terre natale. Jessy connaît tout ça. Son regard s'éclaire à l'évocation du héros local, ce Depay à la dégaine de star, fringues dernier cri, tatouages comme une deuxième peau. Il a récupéré, un jour où le bruit du véhicule du Lyonnais annonçait son passage, une dédicace sur son tee-shirt, relique accrochée depuis sur un mur de sa chambre. « On rêve d'être comme lui alors, quand j'ai entendu sa voiture de loin... », s'enthousiasme-t-il.
«Il n'avait pas tous les codes. Quand il y avait neuf problèmes dans le vestiaire, huit fois, c'était lui»
Romeo Wouden, ancien pro, qui a entraîné Memphis Depay au Sparta Rotterdam
Dans le club-house, un maillot de Manchester dédicacé s'affiche en grand, au milieu de dizaines de photos, certaines bien défraîchies... On aperçoit aussi sa bouille de gamin sur un cliché minuscule dans un couloir. Mêmes yeux provocateurs, même moue frondeuse. Depay a-t-il vraiment changé ?
Comprendre Depay, c'est se plonger au coeur de cette jeunesse où le football a servi de bouée dans une période où tout aurait pu basculer, entre l'abandon d'un père, reparti au Ghana quand il avait 4 ans, et l'arrivée dans l'existence de sa mère, Cora Schensema, d'un homme au comportement brutal. Depay et son ballon, sorte d'ombre bienveillante qui lui ouvrira plus tard les portes de la gloire...
Karen, une voisine, se souvient de ces gouttières cassées, de ce Memphis toujours muni de son objet en cuir. Simon Zwartkruis, la trentaine à cette époque, entraîneur à Moordrecht, raconte : « Tous les soirs, l'été, on jouait sur la place devant nos maisons entre voisins. On mettait une poubelle au milieu et, à 6 ans, il ne la ratait quasiment jamais. Un talent pur. » Après trois saisons dans sa ville natale, le Sparta Rotterdam l'attire à 9 ans. Tout a failli s'arrêter là. Son coach décide de le virer, il a 10 ou 11 ans, dépassé par ses frasques mais Romeo Wouden, ancien pro devenu coach, demande à le récupérer dans la classe d'âge supérieure. Il se revoit, dur à cuire, dans ce petit bonhomme au caractère trempé. « Il n'avait pas tous les codes. Quand il y avait 9 problèmes dans le vestiaire, 8 fois, c'était lui. Pas des trucs graves mais balancer des chaussures, ne pas ramasser les affaires... Mais, en foot, il marquait 2 ou 3 buts par match. Il était extraordinaire. »

L'entrée du premier club de football de Memphis Depay, à Moordrecht. (J. Lempin/L'Équipe)
Wouden sourit. Dans le garage où il bosse aujourd'hui, il se rappelle ce conseil de discipline tendu, ces arguments balancés pour convaincre le Sparta de le conserver. Et sauver l'avenir de Depay. Jazzley, le fils de Romeo, même âge que le Lyonnais, son équipier alors au Sparta, assure : « Je suis 100 % certain que si Memphis avait été renvoyé il ne l'aurait pas accepté car ce n'est pas dans sa mentalité d'aller voir ailleurs. Il aurait pris ça comme un rejet. Et c'en aurait été fini. C'est un moment clé de sa vie. »
Au fil de son passage à Rotterdam (2003-2006), avant de rejoindre le PSV, à 12 ans, Depay tisse des liens étroits avec la famille Wouden. Il s'extrait de son contexte pesant. Jazzley le considère comme un frère, Romeo comme un fils. Depay squatte la maison. Ils partent même en vacances en Turquie « car c'était pas simple entre lui et sa mère à ce moment-là », se remémore Romeo, sans en rajouter. Son fils insiste : « Il lui manquait de l'affection. En Turquie, il était libre, heureux, sans tension. Mais ce n'était pas facile pour sa mère non plus car elle était entre lui et le beau-père et elle avait du mal à choisir son camp. Et Memphis ne le comprenait pas nécessairement à son âge... Sans père, ce n'est pas simple et quand la personne qui le remplace est brutale... »
«Vous savez, vous pouvez vous sentir seul avec l'argent et la célébrité parfois... Mais, maintenant, il est apaisé»
Eric, son oncle
Il ne dévoile pas tout, ni ces brimades nombreuses, ces coups, ni la volonté qu'a son pote de s'échapper. Depay se façonne son monde à lui, se forge un tempérament, se réfugie dans le foot. Loin, si possible, de sa maison où les nombreux enfants du compagnon de sa mère lui mènent aussi la vie dure. En match, il explose tout. Découpe à lui seul l'Ajax, récupère le titre de meilleur joueur d'un tournoi en Allemagne avec le Sparta. Jazzley : « Au Sparta, il y avait pourtant des gars jaloux. Certains disaient : "Il arrive en retard et joue. Et moi ?" Il était difficile. Quand vous le regardez aujourd'hui, vous comprenez ce que je veux dire par difficile. Il n'était pas arrogant, mais c'était de la motivation. Car c'est un gars vrai. Et Memphis assurait : "Je serai célèbre". »
Devant l'explosion du phénomène, les plus grands clubs du pays (PSV, Ajax, Feyenoord) le courtisent. Romeo Wouden reçoit un coup de fil de Cora. Elle débarque avec Eric, son frère, pour évoquer l'avenir du rejeton. L'entraîneur ne veut pas le voir à Amsterdam, trop dangereux. Il glisse : « Vu ce qui se passe chez vous, mettez-le au PSV dans une famille d'accueil... » Sa maman craint la séparation. « Oui, mais il sera mieux encadré... », répond Wouden qui apprend deux mois plus tard son départ vers le PSV... dans une famille d'accueil.

Romeo Wouden, qui a entraîné Depay au Sparta Rotterdam. (J. Lempin/L'Équipe)
Là encore, des coups d'éclats essaiment ses débuts, notamment à l'école, un lieu qu'il abhorre. Le club lui adjoint un préparateur mental, Joost Leenders. Un nouvel acte fondateur. Depay peut s'épancher sur ses douleurs, lui qui se ferme à double tour à l'évocation de son passé. « Il ne parlait jamais de son père, livre Jazzley. Sa mère lui disait d'ailleurs : "Un jour, tu voudras savoir". Memphis a toujours été têtu, mais il a compris aujourd'hui. Il est allé au Ghana saisir d'où il venait. Il a évolué par rapport à son père. Il sait qu'il doit fermer ce chapitre. À l'époque, c'était impossible. Le foot lui permettait, en fait, de ne pas penser au reste. »
Le décès de son grand-père, la figure tutélaire avec sa mère, lui donne un énième coup dont il devra se relever. Le plus violent peut-être. Il a 15 ans. « Ç'a été un désastre, souligne Eric, son oncle, tellement ils étaient proches. Il a été détruit. Car mon père s'occupait toujours de Memphis. Tout ce qu'il a vécu en fait l'a obligé à survivre, à se battre, à devenir ce qu'il est... » Dans un environnement incertain, avec des gens parfois plus âgés, certains, intéressés par son aura ou par son argent, flirtant avec la drogue. « Vous savez, vous pouvez vous sentir seul avec l'argent et la célébrité parfois... Mais, maintenant, il est apaisé », poursuit-il.

Jazzley, fils de Romeo Wouden, qui a joué avec le Lyonnais. (J. Lempin/L'Équipe)
Depay rêvait simplement de pousser les murs trop étroits de Moordrecht, de s'afficher en grand, de montrer au monde qu'il existait, lui le métis, ballotté au gré de sa jeunesse, le coeur fracturé par des années d'errance affective. C'était sa manière de prendre une revanche sur une existence tortueuse. Il n'allait pas lâcher. Jamais. Romeo Wouden : « Je suis fier de lui. En fait, il ne se sentait bien que quand il était le meilleur, au centre de tout. Si on le lui disait, il vous suivait, tête baissée. Il vivait jeune, déjà, comme une star. Memphis, c'était pas un mec que vous mettiez quelque part et vous vous disiez : "Il est où Memphis ?" Non, Memphis on le voyait... » Et à Lyon, de plus en plus.
Gigi Vitale, son meilleur ami, nous raconte un autre Memphis Depay.
Là où est Memphis Depay se trouve Gigi Vitale... C'est l'ami, le proche, le confident, présent très souvent à Lyon. Lui qui ne s'exprime jamais a accepté pour L'Équipe d'évoquer « son » Memphis Depay, une amitié ancienne née à Moordrecht quand ils étaient gamins.
« Quel genre de jeunesse a-t-il connu ?
Il a connu des moments très durs quand son père est parti (au Ghana). Ensuite, il est allé dans une famille avec sa maman et ce ne fut pas simple... Il y avait beaucoup d'enfants pas spécialement sympas avec lui. Il y a eu du racisme, ils se moquaient de lui, le brutalisaient aussi. Même si lui, ce n'est pas le genre à s'échapper (rire).
Le foot l'a sauvé ?
C'est certain. Il aurait pu mal tourner dans sa jeunesse. À Eindhoven, il a trouvé une autre famille d'accueil, ce qui a été bien, puis il s'est retrouvé seul à 16 ans. Ça fait beaucoup de responsabilités à cet âge. À Rotterdam, il connaissait des gens plus âgés, via le foot, via le rap car il a toujours eu la passion de la musique. Il est d'ailleurs talentueux et écrit paroles et musique. Je ne dis pas qu'il aurait mal fini mais, quand vous voulez être le meilleur joueur du monde, il y a certaines choses que vous ne devez pas faire... Il a eu des soucis au PSV avec des joueurs, des entraîneurs, mais ils ne pouvaient pas s'en séparer car il était trop bon.
Tout est lié à cette enfance difficile ?
Ça l'a rendu plus fort, plus dur. Personne ne peut le casser. Mais il était déjà différent, jeune. Il venait avec des chaussures de couleur. À15 ans, il se teignait les cheveux en blond. Ça ne se faisait pas à l'époque. Les gens devaient se dire : "Il fait quoi ? Il pense quoi ? Il est fou ? "Mais Memphis savait ce qu'il voulait être, il aimait les habits, les voitures mais n'avait pas les moyens. Rien ne peut en fait l'abattre. Même à United, quand ça n'allait pas, il est resté droit.
À Manchester, il a reçu pas mal de critiques, notamment d'anciens joueurs...
À Manchester, il n'est pas seul à avoir eu des problèmes. Pogba, Cristiano, Martial... En plus, il devait être accompagné, mais la personne n'est pas venue. C'est là-bas que j'ai commencé à vivre avec lui. On croit que les mecs ont de l'argent, sont reconnus, qu'ils sont heureux mais ils peuvent être touchés par une certaine solitude. Et il est allé à Lyon car il n'était plus heureux à Manchester. Je lui ai toujours dit : "Tu dois faire un pas en arrière pour en faire deux en avant. "Il est très content aujourd'hui. Et ce capitanat le touche car en lui, c'est un lion. Ça prouve qu'il a apporté au club.
Mais il a d'autres ambitions ?
À la fin, tu veux grandir toujours et gagner le Ballon d'Or. Il sait que c'est possible. La chose la plus importante et qu'on oublie, aussi, chez lui, c'est son grand coeur. Il donne énormément au Ghana dans une organisation pour les sourds et muets. Il faut le voir avec les enfants... Il avait besoin de faire la paix avec lui-même en allant sur la terre de ses ancêtres. Franchement, je ne pensais pas qu'il ferait tout ce qu'il fait aujourd'hui. Il a grandi. »
publié le 9 décembre 2019 à 21h24mis à jour le 10 décembre 2019 à 09h25
L'Equipe
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